Chapitre 2

 

Chez les grandes mosta, au rez-de-chaussée de la garderie, c’était comme chez les petites au-dessus, Lisbeï s’en était douté. Seulement des différences d’horaires. Les règles de conduite étaient les mêmes, à commencer par la règle implicite : ne pas demander aux gardiennes une information qu’elles ne fournissent pas d’elles-mêmes. (Et Mooreï n’était plus là pour aider ; Lisbeï ne la reverrait pas avant de sortir de la garderie, ouest.) Comme au premier étage aussi, le jour de l’arrivée, on confiait les nouvelles à des anciennes qui se chargeaient de l’instruction de base. Elles prenaient leur rôle au sérieux et affirmaient leur autorité dès le début en répondant aux questions seulement quand elles le voulaient bien. Inutile d’insister, même auprès de celles que Lisbeï reconnaissait du premier étage, comme la brune Sorel ou Fendig-aux-yeux-rouges-et-aux-cheveux-blancs (on disait « albinos »). Cependant, au bout de quelques jours, Lisbeï découvrit une façon de faire parler Clara, la grande qui s’occupait de son équipe : il suffisait de ne pas avoir l’air de poser des questions, simplement de parler tout haut, comme à soi-même ; si on se trompait, Clara ne pouvait s’empêcher de rectifier, en levant les yeux au ciel et en pinçant les lèvres, exactement comme la gardienne Marli. Cette tactique faisait passer Lisbeï pour une idiote. Mais elle se rendit vite compte qu’on l’acceptait mieux stupide que trop curieuse.

Car maintenant que Tula était loin, maintenant que leur résonance partagée ne la cuirassait plus contre l’atmosphère de la garderie, Lisbeï avait bien envie, parfois, d’être acceptée par les autres. Au début, elle crut qu’elle le serait : beaucoup de mosta ne la connaissaient pas auparavant ; on l’appelait à la ronde du Choix, on l’encourageait quand c’était son tour à la marelle. Mais Méralda et les autres aussi étaient descendues du premier étage : bientôt l’opinion se répandit que Lisbeï était bizarre. Elle put sentir le recul progressif de ses compagnes. Elle n’aurait pas d’amies au rez-de-chaussée de la garderie.

Mais quand elle était trop triste, elle pensait à la nuit prochaine et sa rancœur s’envolait.

Elle se glissait dans l’ombre hors du dortoir sur les parquets et les mosaïques désormais sans surprise, et elle avait peur, mais en même temps c’était délicieux parce qu’au bout de la peur, il y avait Tula. Elles se retrouvaient sous l’escalier, dans le réduit où l’on entreposait cirage et brosses à chaussures (pendant des années, la simple odeur du cuir ciré remplirait Lisbeï d’une nostalgie poignante). Vers la fin, parce que c’était l’été et que c’était plus sûr, elles se retrouvaient dans le parc. La véritable journée de Lisbeï commençait alors, quand elle la revivait en la racontant à Tula.

Peu de temps après le passage de Lisbeï chez les grandes mosta, il s’était mis à faire beau plus souvent ; c’était la printane (désigner d’un mot nouveau des choses familières sans vraiment les changer : expérience bientôt habituelle pour Lisbeï au rez-de-chaussée). Il n’y avait pas eu de nom pour les saisons, avant. Pourquoi pas ? Clara concéda la réponse : les petites mosta étaient si nombreuses à rejoindre Elli avant d’avoir six années, on ne voulait pas perdre trop de temps à leur apprendre des choses qui ne leur serviraient jamais. Lisbeï eut envie de rire en pensant à tout ce qu’elle apprenait la nuit à Tula avant qu’elle eût l’âge requis – Tula qui avait eu la Maladie, qui ne rejoindrait plus Elli maintenant, ou du moins pas avant longtemps. C’était comme une revanche mais elle ne savait pas bien contre quoi, contre qui. Parfois, c’était contre Elli ; Lisbeï se sentait alors très mal à l’aise et s’efforçait de penser à autre chose. De toute évidence, Elli était bien plus puissante et bien plus dangereuse à défier que toutes les gardiennes réunies.

Une des tâches principales des mosta, au rez-de-chaussée, c’était de commencer à apprendre la Parole d’Elli.

 

Au commencement était Elli

Elli était avant le commencement

Et la fin sera Elli

 

Le commencement et la fin, c’était bien ce qu’avait dit Mooreï. Mais comment pouvait-il y avoir quelque chose avant le commencement de tout ? Où s’était-elle trouvée, la graine du commencement ?

 

Dans l’éternité du repos incréé

Dans l’éternité du silence incréé

Dans l’éternité

Sans corps sans voix sans yeux

Elli était tout et tout était Elli

 

La seule partie qui avait un peu de sens, c’était le quatrième verset, mais le cinquième venait replonger Lisbeï dans la perplexité : sans rien, Elli était tout ? (Déconcertant hochement de tête approbateur de la gardienne Marli, suivi pourtant d’un froncement de sourcils : « Répète avec les autres, Lisbeï. »)

 

Avant le commencement était Elli

Et Elli fut le commencement

Car dans l’éternité du repos incréé

Dans l’éternité du silence incréé

Dans l’éternité

Elli était amour, amour était Elli

 

Et l’amour d’Elli était si forte que, d’une façon fort nébuleuse pour Lisbeï, cette amour se mettait en mouvement et Elli créait la danse et donc le repos. Puis, pour exprimer sa joie devant cette première création, Elli créait la parole et donc le silence. L’insistance de la gardienne sur « et donc » n’éclairait pas Lisbeï. Et puis, quel rapport entre cette histoire et le tricot de Mooreï ? Mais le refrain reprenait :

 

Et dans son corps et dans sa voix

Dans l’éternité

Elli était aveugle mais tout était Elli

 

Pourquoi aveugle ? Parce que, sans yeux, Elli ne pouvait pas se voir Elli-même. Sa toute-puissance était donc bien limitée ? Elli n’avait qu’à créer un miroir !

« Justement », dit la gardienne avec un agacement évident. Mais le passage suivant était encore plus confus : en dansant, Elli voit (crée ?) son image réfléchie (où ça ?), qu’Elli appelle Ilshe, mais Elli la perd quand Elli la touche et finalement Elli décide de se dédoubler (de se dévider, comme avait dit Mooreï ?). Et alors :

 

Comme la danse et le silence

La parole et le repos

Elli se regarda Elli se vit

Et de l’éternité naquit la nuit

Et le jour

La parole devint la terre

Et le ciel

Et l’amour d’Elli créa la femme

Et l’homme

 

« C’est quoi, lafam-élom ? » demanda alors Méralda, sans doute encouragée par le fait que la gardienne n’avait pas manifesté plus d’irritation devant les commentaires de Lisbeï.

« La femme, c’est nous, ne put s’empêcher de dire Lisbeï. Les gardiennes et les mosta. »

Les autres la regardèrent, prêtes à se moquer, mais la gardienne, avec un petit froncement de sourcils, dit que oui, si Elli le voulait, les enfantes devenaient des femmes.

« Et l’élom ? insista Méralda, décidément hardie.

— L’homme, un homme, soupira la gardienne, et elle épela le mot. C’est un garçon quand il est devenu grand. »

Comment, les garçons n’étaient donc pas des mosta ratées ?

Il y avait eu des garçons à l’étage supérieur, l’entité tricéphale Rubio-Turri-Garrec. (En fait, il y en avait eu encore deux autres, mais ils étaient partis très tôt rejoindre Elli et Lisbeï n’en avait qu’un souvenir vague.) Mais les garçons étaient quand même différents les uns des autres : ils n’avaient pas le même âge ; seuls Rubio et Turri étaient passés chez les grandes en même temps que Lisbeï et son groupe. Depuis, ils avaient commencé à se différencier davantage. Rubio le rouquin disait toujours « moi, je » ; avec les gardiennes, on l’appela « Toitu » jusqu’à l’en décourager ; et Turri le blond bégayait, ce qui ne l’empêchait pas de vouloir parler autant que les autres mosta. (Même après six années de garderie ! Belle force de caractère… C’était lui aussi qui avait proposé un jour, au premier étage, de jouer à qui pisserait le plus loin ; la gardienne qui l’avait entendu avait été très fâchée ; il n’avait jamais recommencé.)

Mais Rubio et Turri étaient quand même toujours « les garçons » pour les gardiennes et donc pour le reste des mosta. Ils étaient ensemble, répondaient ensemble à l’appel – et maintenant, de plus en plus souvent, tenaient tête ensemble aux autres mosta.

On se les était expliqués très tôt, Lisbeï ne se rappelle même plus quand. Tout le monde savait qu’on disait « garçon » et qu’on n’employait ni « elle », ni « la », ni « une » pour parler d’eux parce que c’étaient des mosta ratées, avec leur petit tuyau. Aucune gardienne n’avait jamais rien dit de tel, bien entendu. Elles avaient sûrement toujours répondu de la même façon aux inévitables premières questions : les garçons faisaient partie des choses-qui-sont-comme-ça-parce-que-c’est-comme-ça. Mais c’étaient des mosta ratées, c’était si évident, personne n’avait pris la peine de vérifier auprès d’une gardienne. D’ailleurs, on ne devait pas jouer à des jeux violents avec eux – la réaction unanime des gardiennes, les premières fois, l’avait indiqué sans erreur possible : c’était encore pire que de se battre entre filles. On ne les prenait que pour deux jeux : le Donjon et la Reine-garde. Les gardiennes qui avaient appris ces jeux-là aux petites mosta ne leur avaient pas expliqué pourquoi ; c’était ainsi pour elles depuis leur propre enfance, pourquoi auraient-elles remis en question ce genre de certitudes ? Le prisonnier à délivrer au Donjon, le trophée à gagner en répondant aux devinettes de la Reinegarde, ce devait absolument être un garçon. Comment aurait-on fait s’il n’y en avait pas eu ? « Il y en a toujours », avait dit la gardienne ; son intonation attristée avait confirmé aux petites mosta le statut inférieur des garçons. Dans les autres jeux, ils se retrouvaient en général avec les mosta qu’on n’appelait pas pour le Choix, qui n’étaient jamais maîtresses de la balle tournante… comme Lisbeï avant Tula – mais, bizarrement, elle y avait trouvé une raison de plus de ne pas beaucoup aimer les garçons. De toute façon, ils ne comptaient pas : ils étaient si peu nombreux !

Pourquoi, au fait ? S’ils étaient défectueux et si Elli avait tout créé, pourquoi avait-Elli fait des mosta ratées ?

La question n’avait cependant pas été posée en ces termes. « Pourquoi il n’y a pas beaucoup de garçons ? avait un jour demandé Turri, ou Rubio, ou Garrec.

— C’est une punition envoyée par Elli », répondit la gardienne, sans doute la vieille Tessa, après une petite hésitation, cependant.

Tout le monde s’inquiéta : pouvait-on devenir comme eux, si on n’était pas sage ?

Mais non, dit Tessa, en serrant les lèvres ensuite, signe certain qu’elle n’en dirait pas plus. Les petites mosta n’avaient pas besoin d’en savoir davantage, de toute façon : les garçons avaient fait quelque chose de mal et ils avaient été punis. Peut-être, en grandissant, deviendraient-ils des mosta normales, avait-on vaguement imaginé (eux surtout). Mais que leur petit tuyau fût la faute ou la punition, peu importait en réalité : la question des garçons avait été réglée une fois pour toutes.

Et voilà que la gardienne Marli semblait dire tout autre chose ! Que les garçons restaient défectueux en grandissant et devenaient des « hommes ». Ils étaient punis pour toujours, alors ? Rubio et Turri étaient tout pâles, on aurait presque eu pitié d’eux.

« Ils ne sont pas punis, ils n’ont rien fait ! » s’exclama Marli, comme si elle s’était demandé où les mosta avaient été chercher une idée aussi aberrante. Mais elle avait vite repris son masque de calme savoir pour expliquer que les garçons, comme les autres mosta, faisaient partie de la création d’Elli, qui les aimait tout autant que Ses autres créatures.

« Mais gardienne Tessa avait dit…

— Sûrement pas, coupa Marli d’un ton définitif. Elle a dû dire que c’était une punition envoyée par Elli s’ils ne sont pas très nombreux. »

Ce n’était pas la même chose ?

Non, ce n’était pas du tout la même chose. C’était tout le monde qui avait été punie et les garçons n’étaient pas réellement la cause de la punition, plutôt son « agent ». Leur différence, leur petit tuyau, n’était en tout cas ni une faute ni une punition. Ils étaient vraiment faits ainsi, c’était vraiment normal, et c’était pour cela qu’on les appelait des « garçons », parce qu’ils étaient différents sur ce point des filles, même si tout le monde à la garderie était « une mosta ».

Mais l’histoire racontée ensuite par la gardienne Marli avait effacé le sourire ravi de Rubio et de Turri : au commencement, Elli avait créé un grand jardin où poussait un pommier et il y avait alors autant de garçons que de filles. Mais les garçons avaient mangé les pommes avant qu’elles fussent mûres, avec les pépins, et Elli en avait été très fâchée.

« Pourquoi ? demanda Méralda, décidément irrépressible ce jour-là.

— Parce que les pommes ne pouvaient plus faire d’autres pommes ni d’autres pommiers, répondit Lisbeï, agacée et imprudente ; Marli fronça les sourcils.

— Qui t’a dit cela ? »

Inquiète, Lisbeï souffla le nom de Mooreï, perçut la réaction à la fois mécontente et résignée de la gardienne. Mooreï n’aurait pas dû le lui dire, alors. Elle savait bien que Mooreï n’était pas une gardienne comme les autres !

« En punition », reprit Marli sans épiloguer davantage sur Mooreï, au grand soulagement de Lisbeï, « et pour donner aussi une chance aux autres arbres, Elli décida de créer beaucoup moins de garçons que de filles. Mais ce n’est pas la faute des garçons d’aujourd’hui. » Elle frappa dans ses mains en se redressant : « Et maintenant, on reprend depuis le début, Au commencement était Elli… »

Cette après-midi-là, dans le parc, les commentaires et les spéculations allèrent bon train. Méralda se précipita tout de suite sur Lisbeï : le nom de Mooreï n’était pas tombé dans l’oreille d’une sourde ; Mooreï manifestait toujours une attention souriante à Méralda, qui l’aimait beaucoup. « Qu’est-ce qu’elle t’a dit d’autre, Mooreï ? »

Impossible de se taire, et d’ailleurs Lisbeï n’en avait pas envie ; elle ne comprenait pas bien pourquoi, mais l’ascendant croissant de Méralda sur les autres commençait à l’agacer beaucoup. Quand elle eut fini de rapporter les paroles de Mooreï, Méralda souleva sans erreur le problème essentiel : si les femmes font les bébés dans leur ventre comme les pommes font d’autres pommes avec leurs pépins et si les garçons sont normalement faits comme ils le sont, qui fait les garçons ? Les filles n’ont pas de tuyau et sûrement les femmes non plus – l’hypothèse qu’il se développait avec l’âge fut écartée aussitôt que proposée : qui aurait voulu d’un appendice aussi absurde ?

« Les hommes font les garçons ? » proposa Turri en bégayant, à mi-voix quand même.

On protesta, par principe, mais l’hypothèse avait une élégante symétrie difficile à écarter : les femmes fabriquaient les filles et les hommes, les garçons. Personne n’avait de réponse à la question suivante, cependant : à quoi servaient les garçons et les hommes ? Pourquoi en fallait-il dans la création d’Elli ?

Lisbeï aurait eu une réponse, mais elle la garda pour Tula. Le mouvement ordonné de la Parole était bien séduisant – accentué comme il l’était par la cadence des versets et le chantonnement de la gardienne. (Par la suite, les mosta apprendraient la musique sur laquelle on célébrait réellement la Parole : la mélodie que leur avait chanté Mooreï le jour du tricot.) Comme la danse/Et le silence, La parole/Et le repos… La nuit/Et le jour, La terre/Et le ciel, La femme/Et l’homme : peut-être les garçons constituaient-ils, dans la création d’Elli, une sorte de reflet des filles, pour conserver la symétrie…

Une symétrie boiteuse. La vraie symétrie, celle à laquelle Lisbeï avait tout de suite pensé en imaginant ce jeu de miroir, c’était Lisbeï/Et Tula : la circulation constante des émotions qui rebondissaient entre elles, la résonance, la lumière partagée… (Elle n’avait pas parlé d’Antoné à Tula. Elle avait vraiment oublié Antoné, comme on oublie un rêve.)

Tula fronça le nez : « Mais on n’est pas pareilles du tout ! » Touchant les cheveux noirs et bouclés de Lisbeï, sa peau brune, posant la main de Lisbeï sur sa rousseur lisse et crépitante, sa peau laiteuse. Lisbeï l’embrassa en retour. Comment lui faire comprendre cette certitude ? Les différences de leurs corps, ce n’était pas important. Ce qui comptait, c’était leur lumière identique, la lumière.

Tula se blottit contre elle sans parler, tiède et douce, et pendant un temps Lisbeï arrêta de penser tandis qu’elles se caressaient et se frottaient l’une contre l’autre, s’abandonnant au plaisir qu’elles avaient découvert ensemble il n’y avait pas très longtemps. Ensuite, paisibles, elles contemplèrent l’autre côté du soleil qui filait dans les nuages.

« Est-ce que je pourrai en parler à Garrec, pour les garçons ? » dit soudain Tula, d’une petite voix hésitante.

Lisbeï sursauta, scandalisée, mais Tula dit très vite : « Il est tout seul aussi, maintenant que les autres garçons sont partis. Personne ne joue plus avec lui… »

Ni avec moi, disait la phrase inachevée. Mais Lisbeï s’accrocha à sa réprobation : à quoi pensait donc Tula ? Personne, et surtout pas un garçon, ne devait savoir ce qu’elle apprenait de Lisbeï ! Lisbeï n’avait pas le droit d’apprendre quoi que ce soit à Tula ! Elle n’avait même pas le droit de voir Tula !

Et Tula se rendit à ses arguments, bien sûr. Mais cette nuit-là… cette nuit-là ne fut pas tout à fait parfaite.

Elles n’en reparlèrent pas. Mais aussi, il y avait tellement d’autres choses passionnantes à raconter à Tula ! La Parole d’Elli, bien sûr, mais surtout l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul. Les échafaudages bien ordonnés des nombres, les conversions des sons et des lettres en syllabes, en mots, en phrases, les progressions, les permutations, les substitutions, tout cela était si… logique, si satisfaisant – et en même temps, cela créait un mouvement incessant, des espaces nouveaux où Lisbeï pouvait rêver d’innombrables histoires. On aurait dit des choses vivantes qui se transformaient presque sans son intervention, et pourtant, c’était bien elle qui écrivait les mots, qui les lisait. Quel pouvoir extraordinaire !

Lorsqu’elle trace pour la première fois son nom sur l’ardoise, en grandes lettres majuscules un peu tremblées, elle écrit aussi TULA, vite, vite, l’effaçant en hâte quand la gardienne Faï passe entre les rangées pour vérifier le travail.

 

* * *

 

Peu à peu la vague de spéculation née du premier contact avec la Parole d’Elli reflua et disparut sous la répétition monotone des versets. Cela devint la prière du matin, une habitude de plus. Les autres nouvelles activités des grandes mosta étaient bien plus présentes et plus prenantes.

Jusqu’au jour où la gardienne Bélinda tomba malade en plein réfectoire.

Elle était devenue toute pâle et elle était sortie en courant dans le couloir, mais pas assez vite pour empêcher les mosta les plus proches de l’entendre y vomir. Une autre gardienne fit taire le tumulte qui s’ensuivit, tandis que Faï – la sévère maîtresse d’écriture et l’aînée des gardiennes du rez-de-chaussée – se rendait dans le couloir d’un pas mesuré qui rassura un peu les mosta.

Mais on ne revit pas Bélinda. Lisbeï en fut plus inquiète que les autres ; Bélinda était une gardienne-en-rouge et une jeune ; les jeunes gardiennes-en-rouge, rares à la garderie, étaient précieuses : elles avaient tendance à répondre plus facilement aux questions. La gardienne Sofie, qui vint la remplacer, était aussi une jeune-en-rouge, heureusement. Elle n’avait jamais servi dans une garderie ; elle était pleine de bonne volonté maladroite. On lui demanda des nouvelles de gardienne Bélinda : était-elle partie rejoindre Elli, elle aussi ?

« Mais non, dit étourdiment la jeune gardienne avec un grand rire joyeux, elle va faire une enfante ! »

Méralda remarqua tout haut ce que Lisbeï avait pensé en silence : « Mais elle n’a pas un gros ventre ! »

Il était trop tôt, c’était seulement le commencement, sourit Sofie, sans se rendre compte qu’elle parlait à des mosta ignorantes.

Cela rendait donc malade, de faire des bébés ? demanda Méralda qui n’osait pas croire à leur bonne fortune.

« Quelquefois, au début, quand la graine n’est pas encore bien installée.

— Mais comment on commence une bébé ? » demanda alors Meï avec innocence, Meï qui à six années ressemblait encore à une bébé, petite, rose et poupine.

La jeune gardienne lui caressa la joue : « Eh bien, la mère mélange sa graine et celle du mâle dans son ventre et… »

Elle dut voir les yeux de Meï s’arrondir et un coup d’œil aux autres mosta lui fit alors comprendre sa bourde. Elle toussota en rougissant, avec une confusion qui parut aussi évidente à Lisbeï qu’aux autres mosta : « Vous apprendrez tout cela bientôt, dit-elle d’une voix étouffée. Allez travailler, maintenant Faï vous attend. »

Il était bien question de travailler ! Faï, exaspérée par la distraction générale, écourta la leçon d’écriture et envoya tout le monde travailler dehors. Mère, mère, se répétait fiévreusement Lisbeï, tout en arrachant indistinctement changelines et pousses légitimes de son carré de petits pois avec une énergie superflue. Et alors, un mâle, c’était l’autre nom de l’homme, pour conserver la symétrie. Mais à quoi pouvaient bien servir des graines de « mâle » dans le ventre de la « mère » qui devait faire des filles ? Et puis, comment faisait-on pour les mélanger, toutes ces graines ? Et pourquoi les mélanger, d’abord ?

Méralda débordait de réponses. On prenait les graines dans le ventre des « mâles » avec une seringue, comme le sang à l’infirmerie, et ensuite on les mettait de la même façon dans le ventre de la « mère ».

« Elle ne pourrait pas plutôt les avaler ? » demanda Meï, qui détestait les piqûres.

Méralda se sentait généreuse dans son heure de gloire : « Ou bien elle les avale. En tout cas, les graines se mélangent comme ça et les mères font pousser les enfantes dans leur ventre. Toutes les enfantes », insista-t-elle avec un regard appuyé du côté des garçons.

Lisbeï se retint avec peine de demander comment les femmes décidaient de faire des garçons et non des filles. Ou bien était-ce Elli qui choisissait, au fait ? Puisque c’était Elli qui avait décidé qu’il y aurait moins de garçons que de filles.

Toutes les autres semblaient satisfaites des explications de Méralda. Sauf Turri et Rubio, qui n’appréciaient visiblement pas l’idée que les hommes (les « mâles ») ne faisaient pas les garçons dans leur ventre. Dans le silence satisfait qui avait suivi les commentaires de Méralda, Turri s’écria soudain : « Non, je sais comment ! C’est à ça que sert le tuyau ! »

Les filles échangèrent des moues dédaigneuses et amusées : il allait encore essayer de justifier le disgracieux appendice des garçons. Mais il enchaîna (et si excité qu’il ne bégayait plus du tout, remarqua Lisbeï) : « Puisque c’est creux, ça peut rentrer dans le ventre des mâles pour aller aspirer les graines et ensuite ça ressort pour les mettre dans le ventre des mères, par le nombril ! »

« Ça se retourne ! s’exclama Rubio, tout illuminé. Comme un gant ! » Et il rentra ses joues en faisant un bruit d’aspiration, la bouche ridiculement pincée à la verticale.

« Et quand les garçons sont grands, quand ils sont des mâles, ils sont tout le temps rentrés comme ça à l’intérieur, comme les filles mais en plus joli, et ça ne ressort que pour donner les graines. »

Et les filles ne pouvaient pas aller chercher leurs propres graines de cette façon puisqu’elles n’avaient pas de tuyau, conclut-il avec une satisfaction exaspérante. Elles faisaient les bébés dans leur ventre parce qu’elles étaient bien obligées.

Les filles étaient muettes d’indignation. Le scandale fit oublier à Lisbeï son statut marginal ; une inspiration subite la tourna vers les garçons : « Montrez-nous ! »

Turri, qui ne faisait pas toujours la différence entre une belle idée et la réalité, commença de se déculotter, mais Rubio l’arrêta avec dignité : « Quand on est grand, il a dit. Quand on sera des mâles, on pourra. »

Lisbeï se mit à ricaner, vite imitée par les autres, portée par leur gratitude admirative : « Vous ne pourrez jamais, vous ne pouvez pas, eh, gants sans doigts. »

« Gants sans doigts, gants sans doigts ! » reprirent les autres mosta en chœur, immédiatement séduites par l’absurdité adéquate de l’expression. Et elles font mine de sauter sur les deux garçons pour les chatouiller (la seule violence tolérée à leur égard) et ils s’enfuient et Turri trébuche dans sa culotte encore à moitié défaite et se casse le nez en tombant.

Toutes les mosta, y compris les garçons, furent punies : huit jours de travaux forcés dans les jardins du parc.

« Ce n’était pas gentil », dit Tula cette nuit-là. Sa désapprobation évidente piqua Lisbeï : les garçons avaient commencé ! Ils n’avaient qu’à ne pas inventer des histoires idiotes !

« Vous aussi, c’est des histoires, non ? » remarqua Tula.

Lisbeï la regarda avec de grands yeux, presque blessée maintenant : ce n’était pas pareil !

« Pourquoi ? »

Lisbeï resta muette un moment, irritée par le désaccord et la question de Tula comme par une invisible pierre ponce qui lui aurait frotté l’intérieur de la tête. C’était différent, enfin, les histoires des filles et celles des garçons ! Les filles étaient plus nombreuses, d’abord, elles avaient sûrement davantage raison !

Mais Tula n’était pas d’accord. Et après tout, elle n’avait peut-être pas tort. Après tout, qui avait raison d’elles deux quand Tula ne voulait pas être d’accord, ou Lisbeï ? Tula n’était pas plus nombreuse que Lisbeï ni inversement. Elle voyait l’histoire… d’un autre côté, voilà tout.

Du côté des garçons ! Comment pouvait-elle être du côté des garçons ? Mais Lisbeï avait du mal à s’accrocher à son indignation : elle se rappelait bien ce qu’elle avait éprouvé en aidant Turri à se relever, en larmes, saignant du nez ; elle avait perçu sa détresse et compris qu’il ne pleurait pas seulement parce qu’il avait mal au nez. Vues du côté des garçons, elles n’avaient pas été gentilles. Ils y croyaient aussi, à leur histoire. Et c’était vrai que, vue de leur côté, elle était bien meilleure que celle des filles.

Mais s’il y avait toujours un autre côté aux histoires, alors, comment savoir qui avait raison ? Tout le monde ne pouvait pas avoir raison en même temps, n’est-ce pas ?

Et Tula, décidément contrariante cette nuit-là, dit : « Pourquoi pas ? Quand on dit « garçons », ou « hommes » ou « mâles », on ne dit pas la même chose, mais ça peut être la même personne à des âges différents. On ne dit pas la même chose, mais tout le monde a raison. Non ? »

Lisbeï, un peu vexée, s’inclina devant cette logique irréfutable. Mais elle décida de garder pour elle l’autre histoire qui lui était venue à la suite de l’incident de l’après-midi : quelque part, à l’extérieur de la garderie sans doute, il y avait un ventre de femme, de mère, où elle avait poussé, et un autre où Tula avait poussé. Et puisqu’elles possédaient la même lumière, peut-être avaient-elles poussé dans le même ventre ? Elle n’y avait jamais pensé de cette façon, mais de savoir qu’une bébé se trouvait à l’intérieur du ventre de Bélinda avait soudain rendu l’idée plus concrète. Elle savait même dans quel ventre elle aurait aimé avoir poussé avec Tula : celui de Mooreï.

 

* * *

 

(Lisbeï/Journal à Wardenberg)

 

Wardenberg, 18 de novème 490 A.G.

 

Je ne sais pas, Tula. Le sais-tu, toi, quand nous avons commencé de nous séparer ? C’est facile de dire que c’est à mon départ de la garderie, mais maintenant, il me semble que ce ne serait pas arrivé si nous avions vraiment encore été ensemble. Tu aurais compris, tu aurais deviné, tu aurais su que ce n’était pas ma faute si je ne t’avais rien dit, pas de ma propre volonté que je te laissais là-bas toute seule. Tu m’aurais au moins laissé le bénéfice du doute. À y penser maintenant, ça a commencé plus tôt, quand j’étais au rez-de-chaussée et toi au premier. On se voyait toutes les nuits, pourtant, je tenais ma promesse. Peut-être que ça ne te suffisait pas ? Qu’est-ce que tu aurais voulu ? Que je refuse de partir ? Mais non, c’était impossible et tu le savais aussi bien que moi. As-tu été jalouse ? Jalouse de tout ce que j’apprenais sans toi ? J’ai passé des nuits à te l’apprendre. Je t’ai toujours tout dit, je n’ai jamais rien gardé pour moi. Est-ce que tu me trouvais trop enthousiaste ? Je n’aurais pas dû trouver du plaisir à apprendre des choses loin de toi ? Mais c’était pour toi que je les apprenais, en pensant à toi. Ça n’existait pas vraiment avant que je te le raconte. Tout, l’écriture, les chiffres, Elli, toutes les histoires, c’était pour toi. Je me rappelle, parfois j’avais l’impression que tu étais un mot que j’aurais écrit et qui se transformait en grandissant, comme les plantes du parc, et j’étais tellement fière de toi, de nous ! Je comprenais presque la partie de la Parole où Elli crée le monde en même temps que les mots : en quelque sorte, c’était ce que je faisais avec toi quand je te racontais ma journée. Je cherchais la meilleure façon de Rapprendre, ou de te raconter. La Parole, tiens, je m’en suis donné des dizaines de versions différentes avant de trouver celle que tu pourrais comprendre, je me la suis expliquée des dizaines de fois de façon différente pour lui trouver un sens que tu pourrais accepter.

Est-ce que c’est ça ? Tu aurais voulu que je te laisse apprendre par toi-même ? Tu ne voulais pas être mon mot, tu ne voulais pas être mon histoire, Tula ?

Je me rappelle la nuit où je t’ai montré la loupe. J’avais passé tous mes moments libres de la journée à perfectionner mon tour de main. J’ai fait tourner la rondelle sur sa tranche : « Regarde ! » Je pensais que tu comprendrais tout de suite – c’était si évident pour moi. Mais tu voyais seulement une rondelle de verre bombé qui tournait sur le parquet. Je t’ai expliqué : c’était comme la première danse d’Elli. Après avoir inventé la danse, Elli danse avec tant d’ardeur qu’Elli se dédouble en deux personnes ; mais en réalité Elli danse avec son image réfléchie dans l’espace. Tu me regardais avec ton air boudeur de quand tu ne comprenais pas. J’ai lancé la rondelle à nouveau, le mouvement a recréé l’illusion d’une sphère brillante avec, quelque part au centre et sur le bord, un peu vacillante, la tranche mate. J’avais passé la journée à me raconter cette évidence, à bien la concevoir pour pouvoir te la donner. Bien sûr qu’Elli ne peut pas toucher Ilshe sans la faire disparaître : Ilshe n’est pas une vraie personne, c’est une image d’Elli, elle n’existe pas vraiment. Et c’est pour cela qu’Elli décide de faire des vraies personnes, la première femme et le premier homme, qui dansent à leur tour et peuplent le monde…

Et toi, tu as ramassé la rondelle de verre en plein essor, et ce qui t’a émerveillée, c’était de voir les dessins de ta peau te sauter aux yeux. Ensuite, tu m’as demandé de te montrer comment faire tourner la rondelle et j’ai cru que tu avais compris : danser, courir, tourner, bouger si vite qu’on arrive à se voir soi-même comme une autre, à se dédoubler ! C’était comme toi et moi, pareilles, ensemble dans la lumière, mais dans deux corps différents.

Tu as haussé les épaules, en essayant de faire tourner la rondelle. « Je ne suis pas un garçon », tu as dit, mais ce n’était pas du tout ce que je voulais dire ! Je parlais de nous. Les garçons, ce n’était pas important, de toute façon. Elli avait créé la femme d’abord et ensuite seulement l’homme, par souci de symétrie. Les hommes n’étaient pas importants, puisque ensuite Elli avait décidé de faire moins de garçons que de filles. L’histoire de la punition à cause des pommes m’embarrassait bien un peu quand même : si ce n’était pas la faute des garçons d’aujourd’hui, pourquoi Elli ne rétablissait-Elli pas la symétrie initiale de Sa création ? La seule conclusion possible, c’était que les garçons n’avaient bel et bien pas d’importance et les hommes non plus. Et pendant que je t’expliquais ça, j’ai perdu ce qui me restait de mon intuition de la rondelle… À vrai dire, je ne sais plus très bien ce que c’était. Je me rappelle qu’il y a eu cette intuition fulgurante, la première fois que je l’ai fait tourner. Peut-être qu’au moment de te la faire partager, je l’avais déjà perdue. C’était le souvenir, pas le moment lui-même.

Pas le moment lui-même. C’était ce que tu aurais voulu, Tula, vivre les moments eux-mêmes en même temps que moi ? Et vivre tes moments, alors, pas les miens ? Est-ce que tu as fini par m’en vouloir parce que tu avais l’impression que je te volais quelque chose ? Mais c’était toi, Tula, toi qui avais insisté pour qu’on se retrouve la nuit et que je te raconte tout ! Tu ne te rappelles pas ? C’est toi qui m’as convaincue. « J’irai dehors le dortoir, tu as dit, exactement tes paroles. Je dormirai pas et j’irai dehors le dortoir. » Moi, j’avais un peu peur, je comprenais mieux que toi les conséquences possibles. Mais tu m’as convaincue. Je t’ai obéi, Tula, cette fois-là aussi, c’est toujours moi qui ai fait ce que tu voulais, tu ne t’en rends pas compte ? J’ai toujours fait ce que tu voulais et tu m’as punie.

Chroniques du Pays des Mères
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